Nabiha Karawli, secrétaire générale adjointe du Syndicat des artistes tunisiens, à l’intention des élus de l’ARP: «La pandémie n’explique pas tous nos déboires, nous manquions déjà de l’essentiel d’une profession artistique, de protection légale et sociale, d’un statut et de droits…»
Contents, d’abord, que nos idées se rejoignent. Ce rappel-là, nous le faisions dans notre dernière chronique. Les différends corporatistes ne couvrent pas tout ; pas plus les manifs et les contestations. Les Arts ont un parcours long et complexe, de multiples tenants et aboutissants. On ne résout pas grand-chose en les négligeant.
Contents,précisément, qu’une organisation syndicale invite ainsi à s’en soucier. Le SAT, de plus, est un regroupement de musiciens et de chanteurs aptes à répondre à ce genre de préoccupations. De grosses carrures. Les meilleurs, non seulement en talent et en création, mais pour nombre d’entre eux, en profondeur de vue et capacité à penser. Les écrits journalistiques et les statuts Facebook de Adnane Chaouachi le démontrent voilà des années. De la même trempe, les Bouchnaq, Rebaï, Mokdad Shili, Sonia M’barek, Karawli, Oussama Farhat et d’autres encore. Sans compter les dizaines et dizaines d’actifs et syndiqués, diplômés de l’ISM.
La Musique, pour tout dire, a largement les moyens de se prendre en charge artistiquement, professionnellement, aussi bien qu’intellectuellement. Remplit-elle la tâche ? Le passage du SAT à l’ARP est une sérieuse promesse. Les interventions médiatiques de Adnane Chaouachi, Bouchnaq, Sabeur Rebaï, les compétences de Sonia M’barek, Karawli et autres artistes diplômées autorisent à y croire. La vérité stricte le dément .
Ce qui manque, encore? La réflexion critique. Les bases esthétiques.
La critique est à l’abandon aujourd’hui. La journalistique, notamment. Celle qui formait et affinait le goût des publics jadis. En lieu et place, maintenant, des animateurs et des chroniqueurs généralement sans formation et sans écoute musicales. Karawli aurait pu (dû) le dire l’autre jour à l’ARP. Ce sont de principaux (de pires ?) déboires de notre musique pourtant.
Les bases esthétiques sont l’essence même des Arts. Exemple de la créativité. Exemples, surtout, de la justesse, de la capacité tonale, de l’harmonie. Les musiques et les voix ne se jugent que sur ces seules bases à travers les écoles et les époques. La suprématie du nouveau est pur mensonge. Les meilleurs rap français ou américain ne valent toujours rien en comparaison avec les sonates de Chopin. Et l’on aura beau invoquer modernité et actualité, personne n’a encore égalé le style, la variété et la richesse des compositions de Sayed Derwish,ni une voix approchée ne serait-ce, celles de Wadie, Oum Kalthoum et Fayrouz.
Il n’y a pas de présent et de passé en Art. D’actuel et de dépassé. Il y a des bases esthétiques originaires et continues. Le génie, le vrai, est de créer du nouveau, du beau, tout en s’y conformant.
Voilà des sujets qui manquent à la réflexion musicale ; que nos artistes, nos syndicats d’artistes, auront tout aussi intérêt (ô combien important) à mettre en débat.